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Ken Miles - L'Homme Qui A Appris à Ford Comment Battre Ferrari

Ken Miles - L'Homme Qui A Appris à Ford Comment Battre Ferrari

Maintenant, écoutez-moi bien. Si je vous demande de citer le pilote le plus important de l'histoire de Ford, vous me direz probablement Dan Gurney, ou peut-être Jackie Stewart. Vous aurez tort. Le pilote le plus important de l'histoire de Ford, c'est un petit Anglais râleur qui buvait du thé à longueur de journée, qui n'a jamais gagné Le Mans, et qui est mort en testant une voiture expérimentale dans le désert californien. Il s'appelait Ken Miles, et sans lui, Ferrari régnerait encore en maître sur la Sarthe.

Vous me direz : "Mais Ken Miles n'a jamais gagné Le Mans !" Et vous aurez raison. Mais c'est exactement ça qui rend son histoire si tragiquement fascinante : l'homme qui a rendu possible la victoire de Ford au Mans 1966 s'est vu voler sa propre victoire par les stratèges en costume-cravate de Dearborn. Une injustice si flagrante qu'elle hante encore les paddocks cinquante-sept ans plus tard.

L'Enfance d'un Futur Génie : Sutton Coldfield, Berceau des Passions

Kenneth Henry Jarvis Miles naît le 1er novembre 1918 à Sutton Coldfield, près de Birmingham. Nous sommes à la fin de la Grande Guerre, et l'Angleterre industrielle forge les caractères dans l'acier et la suie des usines automobiles.

Le fait est que Ken Miles était prédestiné à la mécanique. Birmingham, c'est le cœur battant de l'industrie automobile britannique. Wolseley, Morris, Austin... toutes ces marques mythiques ont leurs usines dans la région. Pour un gamin comme Ken, passionné de tout ce qui a des roues, c'est le paradis sur terre.

À 11 ans - onze ans ! - Ken Miles enfourche sa première moto, une 350cc Triumph Trials Special. Résultat immédiat : nez cassé et trois dents en moins ! Un autre aurait arrêté là. Ken Miles ? Il répare une Salmson 1100cc et remet ça ! Déjà, à cet âge tendre, on reconnaît l'obstination légendaire qui fera sa réputation.

À 15 ans, Ken quitte l'école pour devenir apprenti chez Wolseley Motors. Wolseley ! Une marque qui, à l'époque, représentait le summum de la sophistication automobile britannique ! Ils fabriquaient les voitures des gentlemen, des véhicules d'une élégance et d'une technicité remarquables.

Ken n'est pas un apprenti comme les autres. Wolseley, reconnaissant son potentiel exceptionnel, l'envoie dans une école technique pour approfondir ses connaissances en construction automobile. Le gamin de Sutton Coldfield devient un véritable ingénieur, capable non seulement de réparer une voiture, mais de la concevoir de A à Z.

En 1938, à Donington Park, Ken assiste à un spectacle qui marquera sa vie : Tazio Nuvolari au volant d'une Auto Union, dominant la concurrence européenne avec une maestria absolue. Ce jour-là, Ken Miles comprend que l'automobile peut être un art, et qu'un pilote exceptionnel peut transformer une machine en extension de son âme.

La Guerre : Quand un Mécanicien Devient Héros

En 1939, la guerre éclate et interrompt brutalement les rêves automobiles de Ken. Mais voyez-vous, la Seconde Guerre mondiale va forger le caractère de celui qui deviendra l'un des développeurs les plus brillants de l'histoire du sport automobile.

Ken s'engage d'abord dans une unité antiaérienne, puis devient instructeur de conduite dans l'Armée territoriale. Mais c'est quand il rejoint les Royal Electrical and Mechanical Engineers qu'il trouve sa véritable vocation militaire. Le 1er octobre 1942, Ken fait partie des membres fondateurs du REME ! Les fondateurs ! Ces gars-là étaient chargés de maintenir en vie la mécanique de l'armée britannique dans les conditions les plus extrêmes.

Et le 15 juin 1944 - neuf jours après le Débarquement -, Ken Miles débarque en Normandie avec la 29e Brigade blindée. Il traverse l'Europe à bord de chars Sherman, participant à la libération du continent. Imaginez : ce petit mécanicien de Birmingham se retrouve aux commandes d'une machine de guerre de 30 tonnes, fonçant à travers la campagne française sous le feu ennemi !

Cette expérience va marquer Ken à vie. Il comprend l'importance vitale de la fiabilité mécanique dans les situations extrêmes. Quand votre vie dépend du bon fonctionnement d'une machine, vous développez une relation particulière avec la mécanique. Cette obsession de la perfection technique, Ken la gardera jusqu'à sa mort.

L'Amérique : La Terre Promise des Moteurs

En 1946, Ken Miles sort de l'armée avec le grade de sergent-chef et une expérience irremplaçable. Il retourne brièvement dans l'industrie automobile britannique, mais l'Angleterre d'après-guerre manque cruellement de moyens. Les constructeurs survivent à peine, les matières premières sont rationnées, l'innovation stagne.

En décembre 1951, Ken prend la décision qui va changer sa vie : il émigre aux États-Unis avec sa femme Mollie et leur fils Peter, alors âgé de 3 ans. Destination : Los Angeles, Californie. La terre promise du sport automobile américain !

Vous savez quoi ? Ken Miles arrive au bon moment au bon endroit. La Californie des années 1950, c'est l'explosion du sport automobile amateur. Les pilotes du week-end découvrent les courses sur circuit, les sports cars européennes fascinent les passionnés américains, et la California Sports Car Club organise des courses partout dans l'État.

Ken débute modestement avec une MG TD de série à Pebble Beach. Mais très vite, il se fait remarquer par ses talents de pilote ET de préparateur. En 1953 - seulement deux ans après son arrivée ! -, Ken remporte 14 courses consécutives au volant d'une MG Special de sa conception !

Cette MG Special, c'est déjà du pur Ken Miles : une voiture techniquement parfaite, préparée dans les moindres détails, pilotée avec une précision chirurgicale. Ken ne se contente pas de conduire vite : il comprend intimement le comportement de chaque composant, il anticipe les pannes, il optimise chaque réglage.

En 1955, Ken construit une nouvelle voiture surnommée le "Flying Shingle" (la planche volante). Cette fois, c'est un prototype complet de sa conception, assemblé dans son garage avec des pièces récupérées partout. Résultat : victoires en cascade et réputation d'ingénieur de génie.

La Rencontre avec Shelby : Quand Deux Génies se Reconnaissent

En février 1963, Ken Miles rejoint Shelby American. Carroll Shelby vient de créer sa société un an plus tôt, et il cherche quelqu'un capable de transformer ses idées en voitures de course gagnantes. Ken Miles, c'est exactement l'homme qu'il lui faut.

Permettez-moi de vous expliquer pourquoi cette association était révolutionnaire. Carroll Shelby, c'est le visionnaire, l'homme qui imagine des voitures impossibles et convainc les constructeurs de les financer. Ken Miles, c'est l'exécuteur de génie, celui qui transforme les rêves fous en machines parfaitement au point.

Ensemble, ils vont révolutionner l'AC Cobra. La Cobra "brute" de Carroll Shelby, c'était une bête sauvage pratiquement inpilotable. La Cobra développée par Ken Miles devient une machine de précision, capable de gagner des courses internationales tout en restant relativement civilisée.

Ken joue un rôle majeur dans le développement de la Cobra Daytona Coupé, cette merveille aérodynamique qui va planter Ferrari sur son terrain de prédilection. En 1964, au volant de Dan Gurney et Bob Bondurant, la Cobra Daytona termine quatrième au général aux 24 Heures du Mans et remporte sa catégorie. Quatrième ! Au Mans ! Une Cobra américaine qui humilie les Ferrari dans leur jardin !

Mais le plus beau reste à venir. En 1965, Henry Ford II décide d'attaquer Ferrari de front au Mans avec un programme d'envergure. Carroll Shelby est choisi pour diriger l'opération. Et qui Shelby choisit-il comme pilote de développement et pilote numéro un ? Ken Miles, évidemment.

1966 : L'Année de Gloire et de Tragédie

L'année 1966 commence comme un rêve pour Ken Miles. En janvier, associé à Lloyd Ruby, il remporte les 24 Heures de Daytona au volant d'une Ford GT40 Mk II. Victoire parfaite, domination totale, fiabilité exemplaire. Ken a trouvé la recette gagnante.

En mars, nouveau triomphe : Ken et Lloyd Ruby remportent les 12 Heures de Sebring, toujours en GT40. Ken Miles réalise un début de saison extraordinaire. Il ne lui manque plus que Le Mans pour compléter un triplé historique que personne n'a jamais réussi : Daytona-Sebring-Le Mans la même année !

Le 18 juin 1966, Le Mans. Ken Miles, associé à Denny Hulme, prend le volant de la Ford GT40 Mk II numéro 1. Dès les premiers tours, ils prennent la tête de la course. Ford domine totalement : les GT40 occupent les trois premières places !

Mais au petit matin, quand la victoire semble acquise, Leo Beebe, responsable des relations publiques de Ford, a une idée qu'il croit géniale : faire traverser la ligne d'arrivée aux trois Ford en formation, bras dessus bras dessous, pour maximiser l'impact médiatique !

Il donne l'ordre à Ken Miles de ralentir pour laisser remonter les Ford numéro 2 de Bruce McLaren/Chris Amon et numéro 5. Ken obéit. Il ralentit. Les trois Ford se retrouvent côte à côte pour la photo de famille.

Mais au moment de franchir la ligne, catastrophe : les commissaires français décident qu'il ne peut y avoir qu'un seul vainqueur ! Comme Bruce McLaren était parti plus loin sur la grille, il est déclaré vainqueur ! Ken Miles, qui a mené la course pendant 23 heures, se retrouve deuxième !

L'injustice est flagrante, révoltante. Ken Miles venait de réussir l'exploit le plus remarquable de l'histoire du sport automobile américain, et on lui vole sa victoire pour une photo publicitaire ! Mais vous savez quoi ? Ken encaisse le coup avec une élégance parfaite. Pas de colère, pas de récriminations publiques. Juste cette phrase prophétique : "Ils m'ont eu cette fois, mais j'aurai ma revanche l'année prochaine."

Il n'y aura pas d'année prochaine.

Le 17 Août 1966 : Quand l'Innovation Tue ses Créateurs

L'été 1966. Ford veut préparer l'avenir avec la J-Car, successeur révolutionnaire de la GT40 Mk II. Cette voiture expérimentale adopte une carrosserie Kammback futuriste et une construction en nid d'abeille censée allier légèreté et rigidité. Sur le papier, c'est révolutionnaire. Dans la réalité...

Le 17 août 1966, Riverside International Raceway, Californie. Ken Miles teste la J-Car depuis le matin. Journée parfaite, ciel dégagé, pas de vent. Ken accumule les tours sans problème apparent. Vers 16h00, il entame ce qui devait être son dernier run de la journée.

Ligne droite principale de Riverside. Ken approche des 320 km/h quand soudain, sans aucun signe avant-coureur, la J-Car décolle. Littéralement. La voiture s'élève dans les airs, effectue plusieurs tonneaux et retombe violemment au sol. Au troisième tonneau, Ken est éjecté. La voiture prend feu immédiatement.

Ken Miles meurt sur le coup. Il avait 47 ans.

L'enquête officielle ne trouvera jamais la cause exacte de l'accident. Défaillance aérodynamique ? Rupture mécanique ? Pneu éclaté ? Le mystère demeure entier. Mais une chose est certaine : Ken Miles, l'un des pilotes les plus prudents et les plus expérimentés de sa génération, n'a commis aucune erreur. La J-Car l'a tué.

Ford, traumatisé par ce deuxième accident mortel avec la J-Car (Walt Hansgen était mort en avril lors des essais du Mans), ordonne l'installation de cages de sécurité NASCAR dans toutes ses voitures de course. La J-Car redessinée devient la GT40 Mk IV et remportera Le Mans 1967. Mais Ken Miles ne sera pas là pour le voir.

L'Héritage : Plus Qu'un Pilote, un Révolutionnaire

Peter Miles, le fils de Ken, assiste à l'accident. Il a 15 ans. Cette image le hantera toute sa vie : son père, son héros, tué par la machine qu'il avait contribué à perfectionner.

Mais l'héritage de Ken Miles dépasse largement le traumatisme familial. Ken Miles a révolutionné l'approche américaine du développement automobile. Avant lui, les constructeurs américains faisaient de la puissance brute. Ken Miles leur a appris la finesse, la précision, l'optimisation globale.

La Ford GT40 qui domine Le Mans de 1966 à 1969, c'est en grande partie son œuvre. Chaque réglage de suspension, chaque courbe aérodynamique, chaque détail de fiabilité porte sa marque. Ken Miles n'a peut-être jamais gagné Le Mans en tant que pilote, mais il l'a gagné quatre fois en tant qu'ingénieur.

Carroll Shelby ne s'en remettra jamais vraiment. La mort de Ken Miles le marque profondément. "Ken était plus qu'un pilote", dira-t-il. "C'était un artiste. Il pouvait faire parler une voiture, lui faire dire exactement ce qui n'allait pas et comment le corriger. Des types comme ça, il n'en existe qu'un par génération."

Plus symbolique encore : Carroll Shelby donnera le nom de "Ken Miles Limited Edition" à dix répliques de Cobra 427 produites des décennies plus tard. Un hommage tardif mais mérité à celui qui avait transformé ses rêves en réalité.

Ford vs Ferrari : Quand Hollywood Rend Justice

En 2019, le film "Ford v Ferrari" (ou "Le Mans 66" en Europe) remet Ken Miles sur le devant de la scène. Christian Bale, dans une interprétation magistrale, redonne vie au petit mécanicien de Birmingham devenu génie du sport automobile américain.

Bien sûr, Hollywood prend quelques libertés avec la réalité. Le vrai Ken Miles était peut-être moins spectaculaire que le personnage de Christian Bale, mais il était tout aussi obsessionnel, tout aussi perfectionniste, tout aussi passionné.

Peter Miles, devenu adulte, a collaboré étroitement avec Christian Bale pour que l'interprétation soit la plus fidèle possible. Il lui a fourni des enregistrements audio de son père, des photos personnelles, des anecdotes. Le résultat est saisissant de vérité : on retrouve l'homme qui buvait du thé en permanence (surnom : "Teddy Teabag"), qui parlait la bouche de travers ("Sidebite"), qui râlait constamment mais avec une tendresse cachée.

Le film révèle enfin au grand public l'ampleur de l'injustice subie par Ken Miles au Mans 1966. Cette victoire volée, cette manipulation publicitaire qui a privé un homme de la consécration de sa vie, cela choque le spectateur moderne autant que cela avait choqué les témoins de l'époque.

Le Mystère Persistant : Ken Miles est-il Vraiment Mort ?

Vous allez trouver ça complètement fou, mais certains conspirationnistes prétendent que Ken Miles a survécu à l'accident de Riverside ! En 2003, un journaliste de Car & Driver affirmait avoir découvert deux certificats de décès dans les archives du comté de Riverside, et évoquait la possibilité que Ford ait organisé la disparition de Ken Miles pour éviter le scandale d'un pilote grièvement défiguré par un de leurs prototypes...

Selon cette théorie, Ken Miles aurait vécu caché dans le Wisconsin, dans un bus scolaire abandonné, avec quelques millions de dollars donnés par Ford pour acheter son silence ! Quand des journalistes ont interrogé Carroll Shelby sur ce sujet à Monterey, il aurait fait tomber son assiette de choc et refusé catégoriquement d'en parler !

Bon, évidemment, c'est probablement des élucubrations. Mais le fait que cette théorie existe montre à quel point la mort de Ken Miles a marqué le milieu du sport automobile. L'homme était tellement respecté, tellement irremplaçable, que certains refusent encore de croire qu'il puisse être mort.


Le fait est que Ken Miles représente tout ce que le sport automobile a de noble et de tragique. C'était un perfectionniste absolu, un homme qui ne supportait pas l'à-peu-près, qui donnait tout pour que les voitures soient parfaites.

Il est mort en faisant ce qu'il aimait le plus : repousser les limites de la technologie automobile. Pas pour la gloire, pas pour l'argent, mais pour cette satisfaction intime de créer quelque chose de parfait, quelque chose qui n'existait pas avant lui.

Maintenant, quand vous regardez une Ford Mustang, quand vous admirez une Shelby Cobra, quand vous suivez les 24 Heures du Mans, souvenez-vous de Ken Miles. L'homme qui a appris à l'Amérique comment battre Ferrari. L'homme qui a transformé la puissance brute en élégance technique. L'homme qui a payé le prix ultime pour que nous puissions aujourd'hui conduire des voitures plus sûres, plus performantes, plus abouties.

Ken Miles n'a jamais gagné Le Mans en tant que pilote. Mais il l'a gagné pour l'éternité en tant qu'ingénieur et développeur. Et ça, mes amis, c'est peut-être encore plus beau.

RIP Ken Miles (1918-1966). Le héros méconnu de Riverside.

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