Domenicali et ses Grilles Inversées : Quand un Italien Confond F1 et Bataille Navale

Maintenant, écoutez-moi bien. Il arrive parfois qu'une personnalité respectée du sport automobile sorte une idée si absurde qu'on se demande si elle n'a pas confondu la Formule 1 avec un jeu télévisé américain. Cette semaine, Stefano Domenicali, le patron de la F1, a remis sur la table une de ces idées qui reviennent comme un mauvais plat de spaghettis réchauffé : les grilles inversées.
"Personnellement, je dirais pourquoi pas ?", a déclaré notre homme avec l'enthousiasme d'un gamin qui vient de découvrir qu'on peut mettre du ketchup sur les pâtes. "Il y a beaucoup d'action. Il y a des dépassements." Vous savez quoi, Stefano ? Il y a aussi beaucoup d'action dans un accident d'autoroute, ça ne veut pas dire qu'on devrait en organiser.
L'Idée du Siècle (Si On Vivait en 1823)
Pour ceux qui auraient échappé à cette brillante innovation, le concept est d'une simplicité désarmante : on inverse l'ordre de départ des courses sprint. Les plus lents devant, les plus rapides derrière. C'est un peu comme organiser une course de chevaux en attachant des boulets aux pattes de Secretariat pour que l'âne du voisin ait ses chances.
Domenicali, qui semble confondre spectacle et cirque, justifie son idée avec la logique implacable d'un consultant en management : "Nous sommes ouverts à cette idée car je pense que c'est la bonne chose à faire : écouter nos fans, essayer de créer quelque chose et ne pas craindre de commettre des erreurs."
Permettez-moi de vous arrêter là, Stefano. Certaines erreurs, on n'a pas besoin de les commettre pour savoir qu'elles sont stupides. Personne n'a besoin de goûter du ciment pour comprendre que c'est immangeable.
La Résistance Héroïque des Pilotes
Heureusement, nos gladiateurs modernes ne sont pas dupes de cette mascarade. Max Verstappen, avec sa subtilité habituelle, a tranché le débat : "Je n'aime pas cette idée. C'est artificiel. En F1, la voiture la plus rapide doit être devant."
Merci, Max. Quelqu'un devait le dire. C'est comme si on demandait à Usain Bolt de courir le 100 mètres avec des chaussures de plomb pour que les autres aient une chance. Oui, ce serait spectaculaire. Oui, il y aurait du suspense. Mais ce ne serait plus de l'athlétisme, ce serait du divertissement de foire.
Pierre Gasly, lui aussi, a eu le bon sens de s'opposer : "Le plus important aujourd'hui est de faire en sorte que les voitures soient plus proches les unes des autres en termes de performance." Voilà quelqu'un qui comprend que le vrai problème n'est pas l'ordre de départ, mais l'écart de performance entre les équipes.
Singapour 2019 : Quand les Pilotes Avaient Déjà Tout Dit
Et puis il y a ce détail délicieux que Domenicali semble avoir oublié : en 2019, à Singapour, on avait déjà posé cette même question aux pilotes. Leur réaction ? Un rejet unanime qui aurait dû enterrer cette idée pour de bon.
Lewis Hamilton, avec son éloquence habituelle, avait déclaré : "Je ne sais pas vraiment quoi dire. Les gens qui ont proposé cela ne savent pas vraiment de quoi ils parlent." Puis, se reprenant : "Je ne sais pas quel génie est arrivé avec cette idée..."
Sebastian Vettel, lui, n'avait pas pris de gants : "Je pense que c'est une connerie totale, pour être honnête ! Si nous souhaitons améliorer les choses, il faut resserrer le plateau et avoir de meilleures courses. C'est juste un rafistolage. Je ne sais pas quel génie est arrivé avec cette idée mais ce n'est pas la solution. C'est totalement la mauvaise approche !"
Même Charles Leclerc, pourtant diplomate de nature, avait été clair : "Je ne serais pas content de ça. Le meilleur devrait gagner et débuter de la meilleure position, et pas dans l'ordre inverse."
Voilà. En septembre 2019, les pilotes avaient unanimement rejeté cette idée. Alors que fait Domenicali en 2025 ? Il la ressort du placard comme un mauvais disque rayé qui refuse de s'arrêter de tourner.
L'Art de Confondre Cause et Effet
Le fait est que Domenicali, comme beaucoup de dirigeants modernes, confond brillamment les symptômes et la maladie. Les courses sont ennuyeuses ? Changeons l'ordre de départ ! Les voitures ne peuvent pas se suivre ? Inversons la grille ! C'est un peu comme soigner la fièvre en cassant le thermomètre.
"Ça représentera l'avenir", prophétise notre visionnaire italien en parlant des sprints. L'avenir de quoi, exactement ? De la Formule 1 ou du karting télévisé pour familles nombreuses ?
Et puis il y a cette déclaration qui résume parfaitement l'état d'esprit : "Ce n'est rien de faux dans ce que vous pensez être le bon format pour produire de l'action." Ah, pardon Stefano, mais si. Il y a quelque chose de profondément faux à punir l'excellence pour créer du spectacle artificiel.
La Logique du Monde à l'Envers
Imaginez un instant qu'on applique cette logique à d'autres domaines. Au restaurant Michelin, on servirait d'abord les plats ratés pour que le chef doive rattraper le coup ? À l'opéra, on ferait chanter les choristes en premier pour que la diva ait plus de mérite à briller ?
"Nous devons essayer, les excuses pour ne pas le faire sont toujours nombreuses", insiste Domenicali avec la détermination d'un homme qui refuse d'écouter la raison. Mais parfois, mes amis, les excuses pour ne pas faire quelque chose s'appellent tout simplement du bon sens.
L'Héritage de Liberty Media
Cette obsession pour le spectacle artificiel, c'est l'héritage de Liberty Media. Depuis qu'ils ont racheté la F1, ils semblent persuadés que ce sport a besoin d'être "amélioré" comme une série Netflix. Plus d'action ! Plus de suspense ! Plus de rebondissements inattendus !
Sauf que la Formule 1 n'est pas un soap opera sur roues. C'est la quintessence de l'ingénierie automobile et du talent humain. Quand Lewis Hamilton bat tout le monde en qualifications, ce n'est pas un problème à résoudre, c'est un spectacle à célébrer.
La Voix de la Sagesse (Ignorée)
Toto Wolff, le patron de Mercedes, a résumé le problème avec une précision chirurgicale : "C'est diluer l'ADN de la F1 et l'idée de mérite. Les grilles inversées, on peut le faire dans les formules de promotion, où l'on veut voir les qualités des pilotes pour dépasser. Ce n'est pas quelque chose dont nous devrions nous approcher en Formule 1."
Exactement. La F1, c'est le mérite pur. C'est la récompense de l'excellence. C'est le seul endroit au monde où l'on peut encore dire sans rire : "Que le meilleur gagne", et voir le meilleur gagner effectivement.
L'Avenir Selon Domenicali
Notre Stefano national rêve d'un monde où "chaque fois que vous entrez en piste, il y a quelque chose à combattre". Noble intention, exécution catastrophique. Il veut transformer les essais libres en spectacle permanent, multiplier les sprints, inverser les grilles... Bientôt, il proposera sans doute des power-ups comme dans Mario Kart.
"Entre six et 24 week-ends sprint", annonce-t-il comme si c'était une bonne nouvelle. Vingt-quatre ! Autant dire qu'il veut transformer chaque Grand Prix en kermesse de village avec auto-tamponneuses.
La Vérité sur le Spectacle
La vérité, c'est que le vrai spectacle en F1 ne vient pas de l'artificiel, mais de l'authentique. Regardez Silverstone 2021, Abu Dhabi 2021, ou n'importe quel duel entre Senna et Prost : le suspense naît de l'incertitude naturelle, pas de manipulations grotesques.
Quand Max Verstappen et Lewis Hamilton se sont battus pour le titre en 2021, personne n'a eu besoin d'inverser les grilles pour que ce soit passionnant. Le talent, l'enjeu et la pression ont suffi à créer l'un des spectacles les plus mémorables de l'histoire du sport.
L'Héritage en Question
Alors oui, Domenicali peut continuer à rêver de sa F1-spectacle, de ses grilles inversées et de ses week-ends entièrement dédiés à l'entertainment. Mais il ferait bien de se rappeler que ce sport a survécu et prospéré pendant des décennies sans avoir besoin de ces artifices.
La vraie question n'est pas : "Comment rendre la F1 plus spectaculaire ?" mais : "Comment préserver l'essence de ce qui la rend magique ?"
Et cette essence, mes amis, n'a rien à voir avec l'ordre inversé de départ. Elle tient dans cette simple vérité : ici, le plus rapide gagne. Point final.