Héritage d'un mythe

Imaginez un instant : nous sommes en 1887, l'automobile vient tout juste de naître, et déjà, quelques illuminés français décident qu'elle ne va pas assez vite. Plutôt que de se contenter de ces paisibles promenades à 10 km/h qui terrifiaient les chevaux du voisinage, nos ancêtres ont eu cette idée géniale : "Et si on organisait une course ?"
LES PREMIERS PAS : QUAND 25 KM/H FAISAIENT SENSATION
En 1887, entre la Porte de Neuilly et Versailles, les pionniers de l'automobile démontrent fièrement que leurs engins peuvent atteindre la vitesse vertigineuse de 25 km/h. Pour mettre cela en perspective, c'est à peine plus rapide qu'un cycliste du dimanche, mais à l'époque, cela équivalait à défier les lois de la physique ! Ces intrépides mécaniciens voulaient prouver que leurs "chevaux-vapeur" surpassaient les vrais chevaux. Mission accomplie, avec un bruit d'enfer en prime.
1894 : LA PREMIÈRE VRAIE COURSE (OU PRESQUE)
Sept ans plus tard, en 1894, la France frappe encore un grand coup avec l'organisation de la première véritable compétition automobile de l'histoire : Paris-Rouen. Attention, il ne s'agissait pas encore d'une course de vitesse pure, mais d'une "épreuve de régularité" – comprenez : "celui qui arrive en un seul morceau sans exploser en chemin". Une philosophie sage, quand on sait que les premiers automobiles avaient autant de fiabilité qu'un parapluie en papier.
Cette épreuve révolutionnaire rassembla 69 participants courageux (ou inconscients) prêts à parcourir les 126 kilomètres séparant la capitale de la cité normande. Le comte Jules-Albert de Dion remporta l'épreuve au volant de sa De Dion-Bouton, prouvant ainsi que l'aristocratie française avait définitivement abandonné les carrosses pour des machines plus bruyantes.
1895 : PARIS-BORDEAUX-PARIS, LA NAISSANCE DE LA VRAIE VITESSE
L'année suivante, les organisateurs décident de corser les choses. Fini la régularité pépère : place à la vitesse pure ! Paris-Bordeaux-Paris devient la première véritable course automobile, soit 1 178 kilomètres de route poussiéreuse à parcourir le plus rapidement possible.
Émile Levassor, au volant de sa Panhard et Levassor, remporte cette épopée mécanique en un temps record de 48 heures et 48 minutes. Soit une moyenne de 24 km/h sur l'ensemble du parcours – ce qui, compte tenu des routes de l'époque et de la fiabilité relative des machines, relevait de l'exploit sportif autant que de la prouesse technique.
LE TOURNANT DRAMATIQUE : PARIS-MADRID 1903
Mais comme toute belle histoire française, celle-ci devait connaître son drame. En 1903, la course Paris-Madrid tourne au cauchemar. Les bolides, désormais capables d'atteindre 100 km/h, s'élancent sur des routes non fermées à la circulation, au milieu des spectateurs agglutinés sur les bas-côtés. Le résultat ? Une hécatombe : plusieurs morts, dont le pilote Marcel Renault, et de nombreux blessés.
L'émotion est telle que les autorités arrêtent la course à Bordeaux. Finies les courses de ville à ville sur routes ouvertes ! Cette tragédie marque la fin d'une époque insouciante et le début d'une nouvelle ère, plus sécurisée.
L'ÈRE DES CIRCUITS FERMÉS : LA COUPE GORDON BENNETT
De cette tragédie naîtra une révolution : les circuits fermés. En 1903, la Coupe automobile Gordon Bennett inaugure ce nouveau concept avec un tracé routier de 175 kilomètres à parcourir trois fois. Plus de spectateurs sur la route, plus de carrioles traversant inopinément, juste de la vitesse pure dans un environnement contrôlé.
Cette innovation française – car oui, même après le drame de Paris-Madrid, c'est encore la France qui montre la voie – va révolutionner le sport automobile. Les performances explosent, les moteurs deviennent plus puissants, et l'art de rouler dangereusement vite se codifie.
L'HÉRITAGE : QUAND LA FRANCE CRÉA UN MONSTRE
En l'espace de quelques années, la France avait créé de toutes pièces un nouveau sport, établi ses règles, vécu ses premières tragédies, et trouvé les solutions pour le perpétuer. Du paisible concours de régularité de 1894 aux circuits fermés de 1903, nos ancêtres avaient posé les bases de ce qui deviendrait la Formule 1, le rallye, et toutes les disciplines que nous connaissons aujourd'hui.
Alors, la prochaine fois que vous regarderez un Grand Prix, souvenez-vous : tout a commencé avec quelques Français qui trouvaient que 25 km/h, ce n'était décidément pas assez rapide. Et franchement, ils avaient raison.