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Jo Schlesser - L'Aventurier de l'Impossible

Jo Schlesser - L'Aventurier de l'Impossible

L'histoire de l'homme qui a réalisé son rêve... au prix de sa vie


Maintenant, écoutez-moi bien. Si je vous dis "pilote de Formule 1", vous pensez immédiatement à Monaco, aux paillettes, aux montres Rolex et aux yacht parties. Vous ne pensez certainement pas à un type qui a passé la moitié de sa vie à vendre des machines à calculer dans l'océan Indien pour se payer ses week-ends de course automobile. Eh bien, détrompez-vous. Parce que Jo Schlesser, c'était exactement ça : un homme qui a transformé l'exil en stratégie, la nostalgie en carburant, et qui a fini par mourir en réalisant son rêve. Une histoire tellement folle que même nous, on n'oserait pas l'inventer.

Les Années Madagascar : Le Rêve se Forge sous les Tropiques

Joseph Schlesser naît le 18 mai 1928 à Liouville, en Meuse. Mais le fait est que son vrai berceau, c'est Madagascar. Vous savez, cette île française où les baobabs poussent à l'envers et où les lémuriens vous regardent avec l'air de dire : "Mais qu'est-ce que tu fais là, toi ?" C'est là que grandit notre héros, fils d'un ingénieur civil qui a compris avant tout le monde que l'avenir se trouvait dans les colonies.

Permettez-moi de vous expliquer pourquoi c'est important. Dans les années 1920-1930, Madagascar, c'était un peu comme Dubai aujourd'hui, mais avec plus de baobabs et moins de gratte-ciel. Un territoire où un Français compétent pouvait faire fortune, où les règles étaient plus souples, où l'aventure était au coin de la rue. Bref, l'endroit parfait pour forger le caractère d'un futur pilote de course qui n'aurait jamais peur de prendre des risques.

Le jeune Jo grandit donc entre deux mondes : d'un côté, cette Afrique mystérieuse et fascinante où tout semble possible, de l'autre, cette France métropolitaine dont on lui parle comme de la mère patrie. Et c'est précisément cette dualité qui va forger son caractère : l'audace de l'aventurier colonial et la rigueur du provincial français.

En 1946, la guerre finie, Jo débarque en métropole pour étudier à Nancy. Imaginez le choc : après l'immensité malgache, voilà notre homme coincé dans une ville de l'Est où la plus grande aventure consiste à traverser la place Stanislas sans se faire renverser par un tramway. Il étudie, certes, mais on sent bien que son cœur est ailleurs. Comme tous les vrais passionnés d'automobile, il dévore les magazines spécialisés, rêve devant les photos de Fangio et se dit qu'un jour, lui aussi...

Et puis, en 1952, le déclic. Jo a 24 ans - un âge où la plupart des gens commencent à peine à comprendre comment fonctionne un embrayage - et il décide de s'inscrire au Rallye de Lorraine. Sa monture ? Une Dyna Panhard cabriolet. Pour ceux qui ne connaissent pas, la Dyna Panhard, c'était un peu la Citroën 2CV du sport automobile : pas très rapide, pas très belle, mais absolument increvable.

Avec son copilote Louis Bathelier, Jo remporte la course. Dès sa première tentative ! C'est un peu comme si vous décidiez de faire de la cuisine et que votre premier plat se retrouvait étoilé au Michelin. Sauf qu'en sport automobile, contrairement à la cuisine, on peut mourir si on rate sa recette.

L'Exil Volontaire : Quand on Gagne sa Vie pour Financer sa Passion

Voilà notre Jo avec le virus de la course dans le sang et un problème de taille : comment financer cette passion dévorante avec un salaire d'employé de bureau français ? La réponse, il la trouve dans ses origines malgaches. En 1954, il prend une décision qui paraît folle à l'époque mais qui, rétrospectivement, révèle un génie stratégique digne de Napoléon : il retourne à Madagascar.

Vous savez quoi ? C'était brillant. À Madagascar, Jo travaille pour Burroughs, la société de machines à calculer. Son salaire ? Trois fois supérieur à ce qu'il gagnait en France. Le coût de la vie ? Trois fois inférieur. Vous me suivez ? Notre homme vient d'inventer le concept de l'optimisation fiscale appliquée au sport automobile, cinquante ans avant tout le monde.

Mais le plus beau, c'est qu'il ne se contente pas de travailler. Oh non ! Jo transforme Madagascar en son terrain de jeu personnel. En 1955, il s'offre une Mercedes 300SL - la voiture de ses rêves, celle avec les portes papillon et le moteur qui chante comme un chœur d'anges sous amphétamines. Avec cette merveille, il enchaîne les victoires : Circuit de Majunga, Grand Prix de Fianarantsoa, Circuit d'Ivato, Grand Prix du Sud... Jo Schlesser devient le roi incontesté du sport automobile malgache.

Et le plus extraordinaire, c'est sa stratégie de vacances. Vous et moi, on prend nos congés pour aller se dorer sur une plage. Jo Schlesser, lui, économise son argent malgache pour s'offrir des billets d'avion vers la France et participer aux courses européennes. Imaginez : il traverse la moitié de la planète juste pour passer un week-end sur un circuit français, puis repart vendre des machines à calculer sous les tropiques. C'est à la fois complètement dingue et absolument logique.

En 1957, fort de ses économies tropicales et de son expérience des circuits locaux, Jo fait son retour définitif en Europe. Et là, coup de théâtre : il débarque aux 24 Heures du Mans avec une DB-Panhard d'usine. Pour son copilote Jean-Claude Vidilles et lui, l'aventure tourne court après 14 heures de course, mais le message est passé : Jo Schlesser n'est plus un amateur qui fait mumuse le dimanche. C'est un professionnel qui a les moyens de ses ambitions.

Le Professionnel : De Gentleman-Driver à Pilote Reconnu

La fin des années 1950, début 1960, c'est la transformation de Jo Schlesser. Fini le pilote du dimanche qui court pour le plaisir : place au professionnel qui a compris que le talent sans les moyens, ça ne mène nulle part, mais que les moyens sans le talent, c'est encore pire.

En 1959, Jo s'offre une Ferrari 250 GT pour le Tour Auto. Notez bien : pas n'importe quelle Ferrari, mais LA Ferrari de l'époque, celle que tous les gentlemen-drivers s'arrachent. Malheureusement, sa première sortie avec la belle italienne finit dans un fossé, mais qu'à cela ne tienne : l'année suivante, il termine deuxième derrière Willy Mairesse. Pas mal pour un ancien vendeur de machines à calculer, non ?

Mais le vrai tournant, c'est 1961. Jo s'apprête à courir Le Mans avec une Ferrari d'usine - le Graal absolu pour un pilote de l'époque - quand le destin frappe. Aux essais, accident violent : bras cassé, jambe brisée, saison fichue. Un autre aurait raccroché le casque. Jo Schlesser ? Il invente un système de ficelles pour pouvoir actionner ses pédales malgré sa jambe abîmée et continue à courir.

Vous me direz : "C'est complètement fou !" Et vous aurez raison. Mais c'est exactement cette folie-là qui fait la différence entre les vrais pilotes et les autres. Jo n'a pas choisi la facilité ; il a choisi sa passion, même diminué, même handicapé.

En 1962, la consécration arrive enfin : Jo devient champion de France de Formule Junior avec une Brabham BT2. Et pas n'importe comment : il offre à Jack Brabham sa toute première victoire en tant que constructeur, à Montlhéry. Imaginez la scène : un Français expatrié à Madagascar qui rentre au pays pour donner sa première victoire au futur triple champion du monde australien. Hollywood n'oserait pas.

L'année suivante, Jo récidive : re-champion de France, toujours avec sa Brabham. Mais surtout, il se lie d'amitié avec un certain Guy Ligier. Ensemble, ils montent une concession Ford à Paris. Le jour, ils vendent des Cortina et des Escort aux bourgeois parisiens. Le week-end, ils courent partout en Europe avec des AC Cobra qui ont la subtilité d'un marteau-piqueur et la délicatesse d'un rhinocéros en colère.

Et là, Jo nous sort une série de performances absolument remarquables. En 1963, avec une AC Cobra, il finit deuxième du Tour de Corse et remporte le Critérium des Cévennes. En 1964, toujours avec Cobra, il s'adjuge une victoire de classe aux 24 Heures de Daytona avec l'Américain Joe Buzzetta, puis recommence aux 12 Heures de Sebring avec Bob Bondurant.

Mais le plus extraordinaire - et là, préparez-vous - c'est qu'en 1964, Jo Schlesser devient le premier pilote français à participer aux Daytona 500, la course de NASCAR la plus prestigieuse d'Amérique. Vous me suivez ? Notre vendeur de machines à calculer malgache est en train de conquérir l'Amérique ! Depuis, seuls Claude Ballot-Léna en 1978 et Michel Disdier en 2014 ont tenté l'aventure. Jo était un visionnaire.

Les Années Matra : Si Près du Graal

En 1966, Jo Schlesser franchit un cap décisif : il signe avec l'écurie Matra pour disputer quelques courses de Formule 2. Et pas n'importe lesquelles : les Grands Prix d'Allemagne de 1966 et 1967, où les F2 sont mélangées aux F1 sur le mythique Nürburgring.

Permettez-moi de vous expliquer pourquoi c'est important. Le Nürburgring de l'époque, ce n'était pas le circuit actuel, propret et sécurisé. Non, c'était l'Enfer Vert, un monstre de 22 kilomètres avec 176 virages et suffisamment de bosses pour faire rebondir un kangourou. Jackie Stewart l'avait surnommé "l'Enfer Vert" et il s'y connaissait en circuits dangereux, croyez-moi.

Jo y termine dixième au général et troisième en F2 en 1966, puis récidive en 1967. Pas mal, direz-vous. Sauf que Jo, lui, ne voit qu'une chose : les F1 qui lui passent devant. Et ça, ça le ronge. À 38 puis 39 ans, notre homme comprend que le temps joue contre lui. Il a beau avoir réussi tout ce qu'il a entrepris, il lui manque encore l'essentiel : un volant de F1.

En 1967, Jo partage avec Guy Ligier une Ford GT40 pour les courses d'endurance. Ensemble, ils remportent les 12 Heures de Reims, finissent quatrième aux 1000 Kilomètres de Paris. Jo continue d'accumuler les succès, mais son obsession reste la même : la Formule 1.

Et puis arrive 1968. L'année maudite. Jim Clark meurt en avril à Hockenheim, Mike Spence en mai à Indianapolis, Ludovico Scarfiotti en juin au Mont Ventoux. Trois morts en trois mois, tous des pilotes d'exception. L'ambiance du paddock devient lugubre, les femmes de pilotes dorment mal, les mécaniciens regardent leurs bolides d'un œil différent.

Mais Jo Schlesser, lui, ne renonce pas. En début de saison, il continue son programme de courses de sport : troisième aux 24 Heures de Daytona avec une Porsche 907 (encore avec Joe Buzzetta), deuxième aux 1000 Kilomètres de Spa avec Gerhard Mitter. Parallèlement, il court en F2 avec Guy Ligier sous la bannière Ecurie InterSport, au volant de McLaren M4A. Résultats honnêtes : quatrième au GP de la Loterie de Monza, cinquième à Crystal Palace.

Mais tout ça, ce ne sont que des hors-d'œuvre. Jo attend LA course, LE volant qui lui permettra de réaliser son rêve. Et c'est là que Honda France entre en scène...

Le Piège Honda : Quand l'Ambition Rencontre la Tragédie

Vous savez quoi ? Il y a des moments dans l'histoire où l'on peut dire : "Si seulement ils avaient su..." Le 7 juillet 1968 est l'un de ces moments.

Honda, en ce milieu de saison 1968, a un problème. Un gros problème. Leurs monoplaces sont competitives - John Surtees a même gagné en Italie l'année précédente - mais les ingénieurs nippons ont une idée fixe : réduire le poids. Leur solution ? Fabriquer un châssis entièrement en magnésium. Pour ceux qui ont séché les cours de chimie, le magnésium, c'est léger, c'est résistant, mais ça a un petit défaut : ça brûle comme de l'amadou.

La Honda RA302 - c'est son petit nom - pèse 80 kilos de moins que la RA301 traditionnelle. Sur le papier, c'est génial : moins de poids, plus de vitesse. Dans la réalité... John Surtees, le pilote numéro un de l'équipe et accessoirement l'un des hommes les plus courageux de la planète, teste la voiture et rend son verdict : "Cette voiture n'est pas prête. Elle est dangereuse. Je ne la piloterai pas."

Quand John Surtees - le seul homme à avoir été champion du monde à la fois en moto et en F1 - vous dit qu'une voiture est dangereuse, normalement, vous l'écoutez. Honda France a choisi de ne pas l'écouter.

Et c'est là qu'intervient Jo Schlesser. À 40 ans, notre homme a enfin l'opportunité qu'il attend depuis vingt ans : piloter une F1 d'usine dans un Grand Prix officiel. Et pas n'importe lequel : le Grand Prix de France, devant son public, sur le circuit de Rouen-les-Essarts qu'il connaît par cœur. Le rêve absolu.

Honda France lui propose le volant de la RA302. Jo sait que Surtees a refusé. Il sait que la voiture est expérimentale. Il sait qu'elle n'a jamais couru. Mais il sait aussi que c'est peut-être sa dernière chance. Alors il dit oui.

Le 7 juillet 1968, circuit de Rouen-les-Essarts. Qualifications : Jo réalise le 17e temps sur 18, à plus de 8 secondes de la pole de Jochen Rindt. Autant dire qu'il part de la dernière ligne. Qu'à cela ne tienne : Jo Schlesser va enfin disputer son premier vrai Grand Prix de Formule 1.

Au premier tour, miracle : Jo gagne une place après la défaillance de Jo Siffert. Seizième. Au deuxième tour, les choses se gâtent : la RA302 perd le contact avec le peloton. Jo se bat seul contre sa monture capricieuse sur un circuit rendu glissant par la pluie.

Troisième tour. Virage des Six-Frères, cette courbe rapide qui descend vers Rouen. Jo perd le contrôle. La Honda glisse sur la gauche, heurte le talus, se retourne. Et là, l'impensable se produit : le magnésium rencontre l'essence. 200 litres de carburant prennent feu instantanément. La RA302 devient un brasier.

Jackie Stewart, qui passe sur les lieux quelques instants plus tard, racontera : "C'était comme un gigantesque feu d'artifice. Les flammes traversaient la piste, nous devions rouler à l'aveugle dans la fumée et les débris. J'avais rarement eu aussi peur en voiture. Et Jo était mort."

L'Héritage : Quand la Mort Donne Naissance à une Légende

Jacky Ickx remporte ce Grand Prix de France 1968, sa première victoire en F1. Mais au lieu de célébrer, le jeune Belge va déposer sa couronne de lauriers à l'endroit exact où Jo Schlesser a trouvé la mort. John Surtees, deuxième sur l'autre Honda, dédie sa course à son coéquipier tragiquement disparu.

Honda, traumatisée par cet accident, retire immédiatement ses voitures de la Formule 1. La marque ne reviendra qu'en 1983, quinze ans plus tard. Quinze ans pour oublier le cauchemar du magnésium en fusion.

Mais Jo Schlesser, lui, ne sera jamais oublié. Guy Ligier, son ami, son associé, son frère de course, prend une décision qui marquera l'histoire de la F1 française : toutes ses voitures porteront les initiales "JS" en hommage à Jo. De la JS1 de 1976 à la JS43 de 1996, vingt ans de Formule 1 française sous le signe de l'amitié. Et même quand Alain Prost rachète l'équipe, il conserve la tradition. Jusqu'en 1997, les Prost s'appellent JS45, JS46, JS47... L'hommage le plus durable de l'histoire du sport automobile.

Mais l'héritage de Jo, c'est aussi son neveu Jean-Louis Schlesser. Ce gamin de 20 ans qui admirait son oncle coureur va porter le nom au sommet : pilote de F1 chez McLaren, champion du monde de Sport-prototypes, quintuple vainqueur de la Coupe du monde des rallyes-raids, dont deux victoires au Paris-Dakar. Jean-Louis réalisera tout ce dont Jo rêvait, et plus encore.


Le fait est que Jo Schlesser représente tout ce que le sport automobile a de noble et de tragique à la fois. C'était un homme qui n'a jamais renoncé à ses rêves, qui a inventé sa propre voie quand les chemins traditionnels lui étaient fermés, qui a transformé l'exil en stratégie et la passion en profession.

Vous savez, on dit souvent que les héros meurent jeunes. Jo Schlesser avait 40 ans quand il a trouvé la mort à Rouen. Pas si jeune, me direz-vous. Mais en réalité, Jo est mort au moment précis où il réalisait enfin son rêve d'enfant. En ce sens, il est resté jeune jusqu'au bout.

Maintenant, quand vous verrez une voiture de course porter les lettres "JS", souvenez-vous de cette histoire. Souvenez-vous de cet homme qui a vendu des machines à calculer pour s'offrir des Ferrari, qui a traversé les océans pour courir le week-end, qui a dit oui à Honda quand la prudence commandait de dire non.

Jo Schlesser n'a disputé qu'un seul Grand Prix de Formule 1. Mais quelle course ! Une course qui a changé l'histoire de ce sport, qui a inspiré des générations de pilotes, qui a donné naissance à l'une des plus belles écuries françaises.

Certains vivent longtemps sans rien accomplir. Jo Schlesser a vécu intensément et laissé une trace indélébile. Au fond, que demander de plus à l'existence ?

 

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